BREITENFELD / PIERRE FENICHEL TRIO



(Label Durance BRE032015 / Orkhêstra International)
Pierre FENICHEL : Contrebasse  / Cédrick BEC : Batterie / Alain SOLER : Guitare, Harmonium.


Voici une « pépite », un cd mystérieux proposé par le très beau Label Durance, distribué par Orkhêstra*, pour lequel nous avons attribué sans hésiter notre sélection MusikImpro.


Breitenfeld , titre énigmatique, se dévoile dans les liner notes précises et passionnantes écrites par Pierre Fenichel , contrebassiste et porteur du projet, que l’on connaît davantage en tant que sidemen impliqué dans les projets du saxophoniste Raphaël Imbert. 
On comprend mieux de quoi il en retourne lorsque l’on sait que Breitenfeld est le vrai nom de Paul Desmond, alter ego du célèbre pianiste compositeur Dave Brubeck, on lui doit notamment les populaires Take Five et Blue Rondo à la Turque.
Cet album est un hommage méticuleux et très personnel au tandem Desmond / Brubeck ( rappelons que D. Brubeck est mort récemment, le 5 décembre 2012 ).


Peut-être même davantage un hommage à Desmond, si l’on en juge par le raffinement de l’ambiance sonore, belle, pleine et profonde, nourrie tout du long par le trio, emmené par Fenichel et porté intensément par Cédrick Bec à la batterie et Alain Soler à la guitare, deux musiciens totalement inspirés et investis, à l’image du leader dans ce projet.


Brubeck n’est pas en reste car les morceaux choisis ici, s’il n’ont pas la popularité des deux précités au début de cette chronique, ne réservent que d’élégantes et heureuses surprises déclinées en mosaïques de tempos, cimentées çà et là, en plusieurs occurrences, par la mélodie de There’ll Be No Tomorrow servant de fil conducteur aux avatars multiples de cette chanson dont les paroles furent écrites par l’éternelle Carmen Mc Rae .
D’évidence, les mesures asymétriques, dont le binôme Brubeck / Desmond s’est fait le héraut en son temps, ne sont pas en reste non plus. 
On retiendra particulièrement la version d’Emily (qui n’est pas un thème de Brubeck mais un standard de Johnny Mandell qu’affectionnait particulièrement le pianiste) proposée ici en cinq temps et parfois en trois, tout cela en même temps, qui touche carrément au sublime dans ses équivoques bascules rythmiques tout autant que dans la sobriété du phrasé de Soler.


Cédrick Bec, choisi par Fenichel pour son aisance à jouer ce type de complexité rythmique, trouve ici un rôle à la mesure de sa technique remarquable et de sa grande sensibilité, qualité rare chez les batteurs en général et en particulier chez les batteurs de de cette génération. 
Alain Soler, dont on connaît le travail depuis de longues années avec André Jaume (l’un de nos saxophonistes français parmi les plus intéressants historiquement...) dépose chaque note, chaque phrase, interprète chaque thème (sa version de Summer Song est magistrale) avec le souffle du "dernier instant", le poids mesuré de chaque note : c’est magique et émouvant !


S’ouvrant sur Forty Days, avec une texture jouée à l’Harmonium, l’album nous plonge immédiatement dans un voyage intemporel, aux allures parfois sauvages, électriques mais toujours chaleureuses, où le trio en parfait triangle équilatéral s’écoute et sollicite chaque angle, toujours pertinemment, durant cinquante quatre minutes captivantes. 


Les morceaux s’enchaînent, presque comme une suite ; The City Is Crying, rompant avec le time hypnotique de la version originale (Jazz Impression Of Japan), Eleven Four habillée ici d’un rock fun presque électro-jungle, Fujiyama au caractère mélancolique et dont les harmonies tout en accords mineurs soulignent les inflexions chantées du bassiste leader en un superbe solo de contrebasse... 


L’album s’achève sur The Duke, pièce maîtresse de Brubeck, offrant en cette version un arrangement dépouillé et singulier, aux connotations country déposées par la guitare, où le batteur joue les "peaux" à la main ; une parfaite relecture de l’original en quelque sorte. 
Le projet tout entier, conduit de main de maître par Fenichel, affirme une ré-appropriation généreuse et signifiante d’une oeuvre qui mérite d’être découverte ou redécouverte. 


Hommage certes, mais quel hommage !
La musique de Pierre Fenichel et de ses amis Bec et Soler, réinterprétant Brubeck et Desmond, rare et raffinée, est intimidante de beauté... » 


Article mis en ligne le 24 février 2016 par Isabelle Courtais