FRENCHTOWN CONNECTION / PIERRE FENICHEL

(Durance-PF022020 - Absilone)
Enregistré les 9 et 10 mai 2018 à l’Atelier de Musiques Improvisées
Prise de son et mixage : Antony Soler / Mastering : Studio Translab / Marie Pieprzownik
Pierre Fenichel : contrebasse, arrangements, compositions / « Braka » : batterie, percussions / Thomas Weirich : guitares
Romain Morello : trombone / Marcus Wyatt : Trompette

Pierre Fenichel est de ces musiciens que l’on aime suivre ! 
Discret et finalement assez peu productif - cela est certainement dû à son métier de sideman aux côtés de Raphaël Imbert, de Christophe Leloil, d’André Jaume et tant d’autres encore - chaque projet qu’il propose semble mûrement réfléchi car très abouti.
On se rappelle de son premier album en qualité de leader, « Breitenfeld », en hommage à Dave Brubeck (dont nous avions fait les éloges ici-même) en trio avec le charismatique guitariste Alain Soler (bien trop discret ces dernières années lui aussi) et le très demandé Cédrick Bec à la batterie.
Aujourd’hui c’est un projet dont le titre «  Frenchtown Connection  » fait écho à son adolescence et aux musiques issues de la Jamaïque qui ont certainement nourri son « aller » vers la musique.

Comme toujours chez ce contrebassiste, le projet musical existe de par l’imaginaire qu’il utilise et propose ; le sien, en qualité de créateur, faisant appel au notre en qualité d’auditeur... Ici Marseille et le film French Connection qui fut réalisé dans la ville phocéenne versus le Reggae, et surtout les musiques jamaïcaines qui l’ont façonné, préfigurant de façon géniale un style devenu universel.
Entouré de Thomas Weirich à la guitare, compagnon des tournées « imbertiennes », de Simon « Braka » Fayolle à la batterie et aux percussions, de Romain Morello au trombone, Pierre Fenichel fait appel, pour notre plus grand bonheur, à Marcus Wyatt, musicien sud-africain, dont on ne dira jamais assez quel immense trompettiste il est.

Le groupe se saisit de « tubes » Ska tel que le I don’t see you cry de Ken booth et des succès des « Skatalites » comme Rock Bottom , et ferme l’album sur une version mémorable du célèbre Exodus d’Ernest Gold ; cela toujours dans l’élégance des versions arrangées par le leader du groupe, où aucune nostalgie ne semble transparaître. 

Disons aussi que nous avons aimé la prise de son, à la fois très « roots » dans l’intention et en même temps moderne dans sa réalisation, et qui apporte indéniablement à l’authenticité du projet Frenchtown. Le Label Durance, dont on peut souligner l’éclectisme de qualité dans ses productions discographiques au fil du temps, peut se réjouir du travail de son ingénieur du son régulier : Antony Soler.
Précis dans ses sources, fidèle à un état d’esprit lié aux Musiques Improvisées, cet album « coup de coeur » éclaire notre fin d’automne d’une façon sereine et souriante !

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Les « liner notes » de Frenchtown Connection.
Adolescent je ne savais pas situer la Jamaïque sur une carte, son histoire m’était complètement inconnue. Je partageais cette ignorance naïve avec mes camarades de la Barasse, quartier ouvrier à la périphérie de Marseille, dominé par une grande entreprise qui produisait alors de l’aluminium et beaucoup de déchets, polluant pour longtemps nos collines, banlieue rouge...
La première fois que j’ai entendu Exodus de Bob Marley, nous étions stupéfaits devant la chaine hifi du copain ; ce son, ce rythme, cette voix que nous comprenions malgré notre méconnaissance de l’anglais. Notre écoute se confondait avec une véritable dévotion et nous nous laissions saisir dans les mailles de cette musique exotique et si intime à la fois. Peter Tosh, Lee Scratch Perry, Skatallites, The Specials, Madness, Joe Corbeau suivirent, les originaux, les copies, les blancs, les noirs, sans distinction. Une proximité s’était cristallisée pour toujours, à mon insu, longtemps réprimée, amnésie sociale... Je me souviens de ces camarades que j’ai perdu de vue et de vie, et je remercie la musique de m’en avoir accordé d’autres. « Braka », batteur singulier, talentueux et musicien sans limite m’accompagne depuis longtemps malgré les aléas de la vie. Il a été à la racine de ma rencontre avec le merveilleux Marcus Wyatt, trompettiste, compositeur sud africain. Son attention, son inspiration et sa disponibilité pour cet enregistrement ont été une leçon de musique. À la guitare, Thomas Weirich, terrien s’il en est, creuse son sillage artistique sans frontière avec le souci de créer de l’inédit. L’art difficile de l’épure ne l’effraie pas. Quant à Romain Morello au trombone, il a l’agilité musicale d’un « cat », d’une réactivité sans faille : il a fusionné immédiatement avec Marcus, donnant au projet sa forme.
L’imaginaire Marseillais traverse cette musique. Frenchtown Connection est le film qui m’a fait comprendre que la cité phocéenne avait le potentiel de produire de la narration. Un film américain installa définitivement Marseille dans l’histoire du polar. Peu importe, si les scènes au commissariat sont tournées au Conservatoire de Musique, l’imaginaire est en marche, Frenchtown rencontre Trenchtown, le quartier de Kingston : une musique se glisse entre deux monde.

P. Fenichel.


Article mis en ligne le 8 décembre 2021 par Philippe Clérat